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Zone euro : la crise amplifie les divergences

Deux modèles s’affrontent en effet. Dans le premier – Espagne, Irlande, Finlande, Portugal, Grèce et dans une moindre mesure, Italie et France – la croissance a été tirée par l’endettement des ménages, l’immobilier, la consommation et les services. Avec pour corollaire la création de nombreux emplois mais souvent peu sophistiqués et générateurs de faibles gains de productivité (excepté la France), de médiocres performances à l’export et une hausse des salaires plus rapide qu’ailleurs. Mais compte tenu du niveau de l’endettement des ménages (140.3 % du revenu disponible en Espagne à fin 2007, 165.9 % en Irlande mais seulement 73.3 % en France), du resserrement du crédit, des prix immobiliers élevés et de la baisse du pouvoir d’achat, ce modèle est au bord de la rupture.

L’Allemagne, elle, a fait un tout autre choix en pariant sur l’industrie, les investissements et les exportations, quitte à sacrifier la consommation et au prix d’une croissance plus faible (1.5% par an en moyenne sur la période 1999-2007n contre 2.1% en France et 3.8% en Espagne). « Contrairement à la France, elle a, dès le milieu des années 90, intégré les conséquences d’un change structurellement fort à sa réflexion en matière de politique industrielle », constate Jean Pisani-Ferry, directeur de l’institut Bruegel. La première économie de la zone a restructuré son industrie, misant sur la qualité et le high-tech, et son commerce extérieur en l’orientant davantage vers les pays en forte croissance (9.4% des exportations totales au dernier trimestre 2007, contre 3.9% pour la France). Elle a amélioré sa compétitivité, quand celle des autres grands pays européens se dégradait, en délocalisant en Europe centrale, en comprimant les coûts salariaux et en réformant aux forceps son marché du travail. « Le revenu réel baisse depuis six ans », souligne ainsi Marc Touati, directeur général de Global Equities. Mais alors que l’inflation a bondi fin juin à 3.4%, les salariés réclament désormais leur part. « Depuis le début de l’année, le rythme d’augmentation des coûts salariaux a doublé », constate Mathilde Lemoine.

Arc-boutée sur sa mission – lutter contre l’inflation – et craignant l’enclenchement d’une spirale prix-salaires en Allemagne, la BCE a pour l’instant préféré continuer à relever ses taux, au risque de pousser à la récession l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Italie ou l’Irlande, pays où les ménages sont endettés à taux variable et donc très sensibles aux mouvements de la Banque centrale. Une politique qui fait aussi grincer des dents à Paris : moins spécialisée, moins positionnée sur le haut de gamme, moins implantée sur les marchés émergents, l’industrie française pâtit en effet plus que son homologue allemande d’un euro fort. L’impossibilité pour la BCE de gérer les problèmes spécifiques à chaque pays pourrait-elle faire éclater la zone euro ? C’est peu probable, estime la majorité des experts. « En supprimant les variations de change, l’euro a considérablement réduit le coût des transactions transfrontalières. Or, les échanges intracommunautaires représentent la moitié des échanges allemands et français, 80% pour les petits pays. Sortir de l’euro aurait donc un coût très important, précise Mathilde Lemoine.

« Le problème est que, lors de la création de la monnaie unique, on a oublié qu’une zone monétaire ne pouvait être optimale en l’absence d’harmonisation discale et réglementaire, de budget fédéral… », déplore Marc Touati. L’enterrement annoncé du traité de Lisbonne ne risque pas d’arranger les choses. « Le retour au traité de Nice signifie que l’absence de coordination des politiques de l’emploi, des politiques fiscales et des politiques budgétaires perdurera. Sans politique de change et sans contre-pouvoir à la BCE, les stabilisateurs économiques ne pourront pas jouer en cas de ralentissement », explique Sylvain Broyer, économiste chez Natixis. « C’est pourquoi il est nécessaire, au lieu de se focaliser sur les seuls déficits budgétaires, d’élargir la surveillance aux évolutions macroéconomiques de chaque membre, afin de prévenir le développement de déséquilibres majeurs qui menaceraient la stabilité de la zone », estime Jean Pisani-Ferry. Dans son rapport de mai 2008, la Commission ne dit rien d’autre. Encore faudrait-il qu’elle et l’Eurogroupe aient les moyens d’imposer leurs vues aux gouvernements…

Par Valérie Delarce, in les Enjeux, septembre 2008

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