blog-politique

blog-politique

Le divorce inaperçu de l’Iran et de la Syrie

L’extrémisme nationaliste du Baas syrien et l’extrémisme islamiste du régime iranien étaient convergents, sinon identiques. Mais à mesure que Damas et Téhéran rectifient leurs politiques respectives dans un sens plus pragmatique, voire plus modéré, on perd toute convergence entre deux régimes qui font pourtant des diagnostiques assez semblables. D’un côté en effet, l’ascendant de plus en plus marqué des conservateurs pragmatiques alliés aux progressistes, en Iran, aboutit à une consolidation du régime chiite proaméricain d’Irak, et au choix délibéré d’une politique conciliatrice au Liban.

Ni l’une ni l’autre de ces deux options ne font l’affaire des Syriens. Mais loin de consolider une alliance tactique impossible entre laïques autoritaires syriens et islamofascites iraniens, ce à quoi nous assistons, c’est plutôt le choix par Damas d’une autre politique pragmatique qui reste très ferme sur le Liban mais choisit résolument l’ouverture à la majorité sunnite à l’intérieur de la Syrie, une alliance économique et stratégique avec la nouvelle Turquie et un apaisement spectaculaire avec l’Etat d’Israël, lequel n’est pas à l’ordre du jour, en revanche, à Téhéran. Mais entre temps, le couple irano-syrien aura divorcé, sans peut-être même plus se rappeler les raisons originelles d’un tel divorce. Le Liban est en train, par une dynamique démographique, pour l’instant, inexorable, de devenir un Etat à majorité chiite. D’ores et déjà, aujourd’hui, le bloc chiite auquel s’agrègent quelques chrétiens opportunistes derrière le général Aoun, fait aujourd’hui jeu égal avec le bloc qui englobe tous les autres : chrétiens pro-occidentaux, Druzes pro-israéliens et sunnites pro-saoudiens. Après quelques escarmouches, les deux blocs viennent de se réconcilier en acceptant pour les uns – les chiites – un président chrétien légitime et indépendant de la Syrie, en acceptant pour les autres – les indépendantistes – la perspectives d’un gouvernement d’unité nationale où les chiites disposeront d’un droit de veto permanent. Une telle évolution pourrait bien durer beaucoup plus longtemps qu’on ne l’imagine : ni le Hezbollah ni Israël ne sont très pressés d’en découdre à nouveau; ni les chrétiens ni les Druzes ne sont aujourd’hui menacés dans leur existence, et l’Iran, qui recherche frénétiquement une fenêtre sur la Méditerranée pour échapper à la fermeture du golfe Persique par la Marine américaine, vient de se voir conférer une influence de 50% dans un Etat qui, pour être commercialement viable, a besoin de toutes les communautés qui le composent, retrouvent les voies d’une vie commune minimale. La Syrie, qui se voit fermer la position proéminente qui fut la sienne pendant un quart de siècle. Mais la revanche de Damas est tombée : la Syrie tire les conclusions de l’hégémonisme iranien en rendant publiques les négociations qu’elle mène, de plus en plus intensément, avec Israël. Les Alaouites qui dominent à travers l’idéologie panarabe, bien en déclin, la politique syrienne, ont fini avec Bachar et-Assad par tirer toutes les leçons de la faillite de Saddam Hussein, en Irak. Minoritaires en Syrie, comme le sont en Irak les sunnites, les Alaouites avaient validé leur hégémonie, premièrement en incarnant l’intransigeance totale envers Israël, deuxièmement en s’efforçant d’annexer le Liban, troisièmement, en protégeant chrétiens des deux côtés de la frontière et chiites, au Liban, pour tenir en respect la majorité sunnite. Dès lors que la Syrie admet le principe d’une paix des braves avec l’Etat hébreu sur le Golan, et qu’elle se voit fermer tout retour au Liban avec l’assentiment des pragmatiques iraniens, il ne reste plus à Bachar el-Assad qu’à démanteler la politique antisunnite du régime et à en coopter les dirigeants les plus pragmatiques avant qu’une explosion ne se déclare. Ainsi se développe un rapprochement de la Syrie et de l’islam modéré et moderniste de la Turquie qui fait pendant au rapprochement de plus en plus marqué des deux chiismes irakien et iranien.

In Le Figaro, 31 mai 2008, by Alexandre Adier

Laisser une réponse


+ 9 = quinze