Voyager autrement, voyager intelligent et surtout ne pas passer pour un touriste…Afin de répondre à ce souhait du voyageur moderne, l’industrie du tourisme, 3ème industrie mondiale, multiplie les offres et les produits. Quitte à faire du monde un immense parc d’attractions où illusion et merveilleux se substituent habilement au réel.
Le tourisme est en train de refaçonner le monde, les paysages et les civilisations. La mondialisation a permis d’ouvrir des destinations autrefois coûteuses ou fermées. Ainsi le tourisme s’installe désormais dans toutes les régions qui ne sont pas dévastées par la guerre.
La troisième industrie mondiale passe forcément par des aménagements qui peuvent être considérés par les plus critiques comme un avilissement ou une dénaturation.
Il est marquant de constater que la grande majorité des touristes manifeste le désir de connaître les lieux visités. Le tourisme organise ainsi une rencontre : d’un côté, des millions de gens qui sont prêts à dépenser beaucoup d’argent pour se dépayser et s’offrir exotisme, de l’autre des millions de gens qui sont prêts à les accueillir et à exaucer ce vœu d’exotisme s’il leur permet de gagner de l’argent et de « rester au pays ».
Dans la société capitaliste, le bonheur, comme les autres denrées, se fabrique et s’achète. L’archétype en est le parc à thème (Disneyland, Center Park). Mais ces lieux restent artificiels : le touriste sait qu’il entre dans une enclave où tout est conçu pour son divertissement.
Il faut désormais au touriste du sens, de l’ « authenticité ». L’authenticité devient ainsi un produit comme un autre et tout l’art du voyagiste est de savoir la fabriquer. Le tourisme façonne donc les lieux, la nature et la culture en fonction des représentations mentales que leurs visiteurs s’en font. C’est ainsi que la planète se « disneylandise » sous l’influence du tourisme de masse : les paysages se muent en décors et les protagonistes qui y vivent en acteurs, prêts à endosser la panoplie de l’authenticité pour coller aux attentes de ce touriste pourvoyeur de devises.
L’industrie du tourisme façonne donc aujourd’hui des produits élitistes, qui permettent de vendre l’illusion du tourisme intelligent beaucoup plus cher que l’hôtel-club tout compris (et tout confort) du « mimile » de base. Dormir en sac de couchage et en baver, mais avoir sa conscience pour soi, c’est-à-dire ne pas porter atteinte à la planète, puisque l’air du temps est désormais à un « développement durable » perçu comme la préservation de prétendus équilibres anciens, ceux des peuples « authentiques » et de la nature « sauvage ». Indigné par les ravages de la société industrielle, dont il constitue pourtant le plus pur produit, le citoyen urbain du monde moderne porte au pinacle la beauté des milieux « sauvages » forcément « menacés » et « l’authenticité » des modes de vie traditionnels. Il oublie ce que savent depuis longtemps les géographes : les paysages naturels n’existent plus depuis longtemps, ils ont été façonnés par l’homme, les sociétés comme les écosystèmes sont en perpétuelle évolution car c’est la condition de leur perpétuation. L’industrie du tourisme déploie donc la mise en scène d’un dépaysement programmé dans de supposés « paradis perdus » (pas pour le tourisme), où vivent des civilisations que l’accès à la modernité leur est souvent dénié par ceux qui voudraient, pour des raisons mercantiles, les figer dans des représentations folkloriques, à défaut d’être authentiques. Le tourisme disneylandise ainsi le monde, transformant les lieux d’accueil en une succession de parcs à thème, où le touriste doit pouvoir retrouver un passé recréé ou préservé en toute sécurité.
Pour voyager « autrement », le touriste accepte un inconfort soigneusement entretenu car il fait partie intégrante de l’aventure. Il porte désormais son sac à dos, pour ne pas « exploiter » des populations locales, qui y trouvaient pourtant une source de revenus non négligeable.
Faut-il le déplorer ? Pas si sûr, car lorsque l’opération est correctement montée, chacun y trouve son compte : le touriste repart heureux, il a eu sa part de rêve ; l’autochtone est satisfait : il a eu sa part de la manne ; et le voyagiste, qui a organisé les termes de l’échange, se frotte les mains : il a vendu très cher une prestation qui ne lui a presque rien coûté, puisque l’authenticité, en matière de conditions d’hébergements et de restauration, signifie le plus souvent le strict minimum.
Bonjour,
Article très intéressant. Même si je suis une grande voyageuses et que j’apprécie autant de partir à l’hôtel dans les îles qu’a la découverte des populations avec mon sac à dos.