La grande affaire, c’est que le principe de laïcité aura très largement contribué à l’essor de l’Occident. A ce qu’on appelle la « modernité ». A l’épanouissment économique et politique de chaque homme. Cette limitation de la religion dans l’ordre du savoir et du pouvoir vient, chez nous, de loin. Du credo chrétien où l’on disitingue ce qui relève de Dieu de ce qui revient à César. De la Réforme qui, la première, avec le libre examen des textes sacrés, dessera le carcan catholique. Et depuis deux ou trois siècles de l’esprit des Lumières qui exalta cet affranchissement de la tutelle divine.
Non, la Turquie n’est pas l’Europe. Le voyage de Benoît XVI à Ankara, Ephèse et Istanbul, a confirmé l’analyse de celui qui était encore, en 2004, le cardinal Ratzinger : « Historiquement et culturellement, la Turquie a peu à partager avec l’Europe. » Certes, le Pape a assuré, cette fois, ne pas être opposé à l’entrée de la nation musulmane dans l’Union européenne, « sur la base de valeurs et de principes communs ». Mais des incompatibilités ont été fraternellement dévoilées.
Engagé dans un « dialogue basé sur la vérité et qui respecte les différences », le Pape n’entend pas brader l’Occident.
Il l’a répété : la laïcité, la séparation entre l’Etat et la religion, la liberté de conscience caractérisent l’Europe.
Comme l’écrit Philippe Nemo (Histoire du libéralisme en Europe, PUF), « deux millénaires de prédications judéo-chrétiennes ont conféré aux mentalités et aux moeurs certains traits spécifiques qui, intimement mêlés aux legs du civisme grécoromain, ont abouti aux grandes institutions caractéristiques de la démocratie libérale, la liberté de penser, l’état de droit, le marché et la démocratie.
Ce sont nombre de ces valeurs, héritées de Jérusalem, d’Athènes et de Rome, que le Pape propose à la Turquie d’adopter, avant d’entrer dans l’Europe. « Aux sources de la Turquie moderne, se trouve le dialogue avec la raison européenne, avec sa pensée, son mode de vie, pour être réalisé dans un contexte historique et religieux différent », a déclaré le Saint Père, en rendant hommage à Mustafa Kemal Atatürk qui, au début du XXème siècle, prit la Constitution française comme modèle.
En fait, le Pape a mis les auorités turques face à leurs réticences à occidentaliser l’islam. En déclarant à Ankara : « les autorités civiles de tout pays démocratique ont l’obligation de garantir la liberté effective de tous les croyants et de leur permettre d’organiser librement la vie de leur communautés religieuses ».
Contre le relativisme.
L’insistance de Benoît XVI à faire l’éloge des différences entre les cultures (« Non dans un but de confrontation mais pour nourir un respect mutuel ») est une façon de s’opposer au relativisme, au mélangisme, à la haine de soi. Cette idéologie du moment porte le risque d’une dilution de l’idéntité occidentale. C’est parce que l’Europe est engagée dans une déchristianisation qu’elle devient vulnérable à la loi du plus fort, représentée en l’occurrence, par l’islam et ses susceptibilités. Saura-t-elle toujours faire respecter ces valeurs essentielles, comme les droits de l’homme issus des dix commandements? En appelant à la vigilance et à la réciprocité, le Pape met en garde contre l’endormissement.
Benoît XVI suggère une autre méthode pour réussir l’intégration : la valorisation de la culture d’accueil. Seule une nation fière de son histoire, de sa langue, de ses dons, saura susciter, chez les nouveaux venus, l’adhésion à un socle commun. Mais la France s’aime-t-elle assez?
Cf. Claude Imbert, in Le Point du 7 décembre 2006 et Ivan Rioufol, in Le Figaro du 1er décembre 2006.