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Le numérique et l’individu : Le numérique à maîtriser par tous

« Loin de moi l’idée de nier la contribution incomparable que ces techniques apportent à la diffusion de la beauté, de l’intelligence et du savoir, si l’on sait s’en servir. Elles sont (…) la pire et la meilleure des choses. Mais elles amplifient les menaces qui pèsent sur les sociétés de masse dont les conditions telles qu’on ne peut plus se dispenser d’en enseigner le bon usage : il est devenu urgent de les inscrire dans les programmes, au même titre que les disciplines de base. (…) Le fait, pourtant, est là : en amplifiant de manière exponentielle la place que l’audiovisuel occupe dans nos vies, la révolution numérique a rendu manifeste, avec un décalage de plus de trente ans, la justesse de l’intuition de Malraux, qui avait plongé dans une perplexité abyssale les téléspectateurs de la campagne présidentielle de Chaban en 1974 : si, parallèlement à l’enseignement de la langue, une solide préparation n’est pas dispensée aux jeunes élèves sur l’usage des outils numériques, les citoyens de l’avenir en deviendront des esclaves ; nous préparerons des générations de drogués de l’image et du son, d’égarés du virtuel, d’aveugles et de sourds, de solipsistes hors d’état de se défendre contre les manipulations qui, pour les atteindre, devront être de plus en plus lourdes et grossières.(…) »

« Ces techniques nouvelles (…) exigent plus de préparation qu’aucune de celles qui les ont précédées. Il ne suffira pas, pour cela, de souligner le fait que ces techniques sont aliénantes, « additives », et qu’il n’est plus guère de jeunes enfants qui ne leur consacrent au moins trois heures par jour ; (…) il ne suffira pas, enfin, de s’interroger sur le statut des œuvres de l’art et de l’esprit, dès lors que les capacités de stockage seront devenus infinies : non seulement il ne sera bientôt plus nécessaire de les hiérarchiser pour les conserver, mais il sera de moins en moins possible d’opérer entre elles un tri, sauf à se référer à un index électronique qui, en sortant le texte du contexte, contribuera à dissoudre encore davantage dans les réseaux de la communication le colloque singulier d’une conscience avec une personne et avec une œuvre. (…) Dire tout cela sera peine perdue aussi longtemps qu’on se montrera incapables de défendre (…) les principes sur lesquels les citoyens des nations libres se sont appuyés pour s’émanciper : – Le premier principe est l’autonomie de l’individu, considérée comme une idée morale. – Le deuxième principe repose sur l’affirmation d’une raison législatrice, qui organise les concepts, hiérarchise les valeurs, découpe l’espace et la durée, cherche à leur donner un sens. – Le troisième principe est la séparation entre l’espace public et la sphère privée, avec ses corollaires : la civilité et la pudeur ; or l’outil numérique abaisse toutes les frontières, y compris celles que l’individu s’impose à lui-même – au risque de faire oublier le lien étroit qui associe la désinhibition des désirs et la dépendance par rapport au pouvoir.

Il faut que nos concitoyens conservent le goût et le sens de leur liberté, en n’acceptant jamais de se laisser désigner par des chiffres comme des légions et des corps d’armées ! »

Par Alain-Gérard Slama In Le Figaro du mercredi 31 décembre 2008

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