blog-politique

blog-politique

Quoi de neuf sous ce soleil d’avril ? Malraux !

Il y a quarante ans, un homme était d’abord de son pays, de sa région, de sa ville. Donc apte à se dépayser. Aujourd’hui, il est avant tout de sa génération. Aujourd’hui la mondialisation fait que le même jour sur les mêmes écrans, les jeunes du monde entier réagissent ensemble aux mêmes images, et les mêmes idées suscitent leur émotion.

La mission première de la politique et de la culture reste toujours de donner une identité à chacun. Mais on ne peut pas fonder son identité sur un âge de la même manière qu’on ne peut pas arrêter le temps. On ne peut donc pas bâtir de légitimité sur une génération.

En matière de politique culturelle, il est intéressant de comparer l’œuvre de Malraux et l’action de Jack Lang. Deux conceptions de l’enracinement culturel, deux conceptions de l’art, deux influences sociétales.

La vision culturelle de Malraux est fondée sur cette évidence que les hommes sont de quelque part et que leur identité ne peut être que nationale. Pour Malraux, le ministre de la culture devait offrir à tous les « clés du trésor de l’humanité » (cf. le décret d’attribution du ministère de la culture de 1959), cela sous-entend que le plus sûr moyen de parvenir à l’universalité – c’est-à-dire à l’ouverture – est, pour un Français, d’être pleinement Français, c’est-à-dire imprégné de sa culture et de sa mémoire.
20 ans plus tard, Jack Lang prend le parti opposé : le ministère de la Culture doit permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’exprimer librement leur talent… Ici plus de trésor à découvrir, c’est le rêve soixante-huitard : chacun doit produire sa propre culture contre la culture dominante ! Le temps long n’a plus sa place dans l’art, la priorité est à l’immédiateté et… à la mémoire sélective.
Mais depuis l’essor de la culture événementielle, la place de Paris dans la création contemporaine a spectaculairement régressé et la censure est revenue (cf. les affaires Handke et Redeker), et la langueur en version architecture exprime ce que la repentance exprime en version politique : le refoulement de l’identité nationale.
L’identité morte, l’intégration devient impossible. Comment en effet, désirer la France quand la France n’exprime plus rien de lisible ? On a beau accueillir toutes les créations, si c’est dans du vide : c’est le vide qui gagne. Toujours. Et les immigrés de la troisième génération se sentent moins Français que leurs grands-parents. Malraux savait qu’en politique culturelle aussi, un pays a besoin de s’aimer.

Quoi de neuf en politique ? Malraux !

POUR APPROFONDIR

« L’homme par le seul fait qu’il existe en tant qu’homme, dément la fatalité de sa condition. Il y a une tension qui sans cesse oppose l’homme à la mort. L’action est l’une des formes que revêt cette tension, l’art en est une autre, sans doute plus efficace et plus fondamentale. Armes contre la mort, la politique et la culture sont indissociables. »
Janine Mossuz-Lavau dans « André Malraux, la politique, la culture », édtions Folio Essais

« Car la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. Encore se conquiert-elle de bien des façons, dont chacune ressemble à ceux qui l’ont conçue. (…) l’image de l’Acropole sera contemplée par plus de spectateurs qu’elle ne le fut pendant 2000 ans. Ces millions d’hommes n’entendront pas ce langage comme l’entendaient les prélats de Rome ou les seigneurs de Versailles ; et peut-être ne l’entendront-ils pleinement que si le peuple grec y reconnaît sa plus profonde permanence – si les grandes cités mortes retentissent de la voix de la nation vivante. »
André Malraux, Hommage à la Grèce, Discours prononcé le 28 mai 1959 à Athènes.

« Aujourd’hui, (…) toutes les nations – au temps même où beaucoup d’entre elles poursuivent une guerre secrète ou proclamée – sont appelées à sauver ensemble les œuvres d’une civilisation qui n’appartiennent à aucune d’elles. (…) le style égyptien, pendant trois mille ans, traduisit le périssable en éternel. Comprenons bien qu’il ne nous atteint pas seulement comme un témoignage de l’histoire, ni comme ce que l’on appelait naguère la beauté. La beauté est devenue l’une des énigmes majeures de notre temps, la mystérieuse présence par laquelle les œuvres de l’Egypte s’unissent aux statues de nos cathédrales ou des temples aztèques, à celles des grottes de l’Inde et de la Chine – aux tableaux de Cézanne et de Van Gogh, des plus grands morts et des plus grands vivants – dans le trésor de la première civilisation mondiale. (…) Pour la première fois, l’humanité a découvert un langage universel de l’art. Nous en éprouvons clairement la force, bien que nous en connaissions mal la nature ».
André Malraux, Pour sauver les monuments d’Egypte, Discours prononcé le 8 mars 1960 à Paris en réponse à l’appel de l’Unesco.

« Prenons garde à ne pas concevoir les cultures disparues uniquement comme des formes, c’est-à-dire des hypothèses. Il est possible que nous ne sachions rien de ce qu’était la réalité psychique d’un Egyptien ; mais ce que nous savons, c’est qu’un certain nombre de valeurs transmissibles ont passé à travers ces cultures qu’on nous avait données comme closes, et que ce sont ces valeurs qui sont arrivées dans notre pensée ; que c’est d’elles que nous essayons de faire un tout. (…) Nul d’entre nous ne sait dans quel esprit un fellah regardait une statue égyptienne, au 3ème millénaire. Peut-être n’y a-t-il rien de commun entre la façon dont nous regardons cette œuvre au Louvre, et la façon dont elle fut regardée, quand elle fut sculptée ; mais il est certain que nous voyons quelque chose, que ce quelque chose porte en soi une valeur de suggestion que nous essayons d’intégrer dans ce que nous appelons notre culture. De même en morale. Ce qui est d’abord arrivé à nous de la culture juive, c’est la Bible quia apporté au monde l’idée, jusque-là informulée, de justice. Il en est de même de toutes les notions de qualité. Ce qui me fait attirer votre attention sur ce point capital : le vrai problème n’est pas celui de la transmission des cultures dans leur spécificité, mais de savoir comment la qualité d’humanité que portait chaque culture est arrivée jusqu’à nous, et ce qu’elle est devenue pour nous. ».
André Malraux, L’homme et la Culture, Conférence donnée le 4 Novembre 1946 à La Sorbonne sous l’égide de l’Unesco.

« Tout art est une leçon par ses dieux. Car l’homme crée ses dieux avec tout lui-même, mais il crée son art le plus haut avec le monde réduit à l’image de son secret toujours le même : faire éclater la condition humaine par des moyens humains. »
André Malraux, L’homme et la Culture, Conférence donnée le 4 Novembre 1946 à La Sorbonne sous l’égide de l’Unesco.

Laisser une réponse


4 + = douze