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Finances publiques : où est la vertu? Par Philippe LAURENT, Maire de Sceaux, Président de la commission des Finances de l’Association des Maires de France

« dans le rouge »…

Cette appréciation portée au printemps par le ministre délégué au budget à propos des comptes des collectivités locales françaises a surpris et profondément déçu les élus locaux et leurs équipes. Venant après quelques autres déclarations du même tonneau teintées de démagogie, elle a sonné la charge d’une offensive en règle contre la gestion publique locale. Une offensive à la fois injuste et infondée.

Dans le cas présent, de quoi s’agit-il? Tout simplement du fait que les collectiviés locales ont connu en 2004, pour la première fois depuis dix ans, « un besoin de financement » de leurs investissements à hauteur de 2 milliards d’euros.

Autrement dit, la dette publique locale a augmenté de la même somme pendant toute cette année, alors même que les investissements locaux se montaient à 40 milliards d’euros. Pendant le même temps, les investissements civils de l’Etat plafonnaient à 18 milliards, alors que la dette de l’Etat progressait de près de 50 milliards en encours.

L’Etat, qui donne des leçons de vertu, emprunte pour payer les salaires, après avoir baissé les impôts. Les collectivités locales empruntent (très peu) pour financer des investissements(infrastructures, équipements publics, installations de protection de l’environnement…), développer le pays et préparer l’avenir. Pour y parvenir, elles ont certes augmenté leur pression fiscale. Mais leur équilibre financier reste sain. Quelques semaines après, le rapport de la commission d’enquête sur la fiscalité locale de l’Assembléee nationale, mise en place par des parlementaires de la majorité soutenant le gouvernement et donc le ministre précédent, vient expliquer que les élus locaux ont eu tort de préférer le recours à la fiscalité à l’augmentation de l’emprunt, et que la progression des dépenses locales n’est due qu’à une décision parfaitement libre des assemblées locales et non au désengagement progressif de l’Etat et à la compensation insuffisante des transferts de compétences, alors même que la commission consultative d’évaluation des transferts de charges dit le contraire pour certaines des compétences transférées, comme notamment le RMI dont le coût en deux ans a bondi d’un milliard d’euros.

Cerise sur le gâteau, si l’on peut dire, le rapport sur l’intercommunalité présenté par le premier président de la Cour des Comptes lui-même pendant le congrès des maires vient porter un regard sans complaisance sur la réorganisation des territoires conduite ces dernières années : selon les magistrats financiers, si la réforme de l’intercommunalité a été un succès « quantitatif », elle s’est aussi traduite par un gaspillage de fonds publics.

Au-delà de ces appréciations contradictoires qui, paradoxalement, illustrent le bon équilibre auquel sont parvenues les finances locales, la cause est entendue. Il faut à l’incurie de la gestion étatique de nouvelles victimes expiatoires, et peu importe l’argumentation.

Les élus locaux sont ainsi jetés en pâture d’une opinion publique pormpte à les considérer, eux comme leurs équipes, au mieux comme des incompétents.

Un an après l’adaptation en fanfare du principe constitutionnel d’autonomie financière , un gouvernement issu de la même majorité parle donc de « contrôler, encadrer, normer » la gestion publique locale.

Quelle logique, sinon celle d’un pilotage à vue désespéré destiné à tout faire pour respecter un ratio imbécile, celui de la dette publique ramenée au PIB, fixé dans le traité de Maastricht?

Or, la dette publique est la pire des choses si elle finance une consommation immédiate -ce que fait l’Etat- et si ses intérêts sont eux-mêmes financés par l’emprunt. Mais elle est indispensable et saine si elle finance des infrastructures et sert à moderniser le pays, ses intérêts étant payés par les impôts de l’année, ce que font les collectivités locales.

Le « qu’allons-nous laisser à nos enfants? » exprime un fardeau injuste dans le premier cas, car les générations suivantes devront payer pour des consommations passées, mais une situation normale dans le second puisque ce sont ceux qui profiteront de ces nouvelles infrastructures qui les paieront. Nous prenons le risque insensé que nos territoires prennent un retrad préjudiciable dans leur développement, alors même que nous disposons aujourd’hui, avec l’intercommunalité et les pays notamment, des outils institutionnels capables de fédérer les volontés.

Tout ceci pour pouvoir afficher un « bon » ratio et parce que l’Etat fait le contraire de ce qu’il devrait faire : augmenter ses recettes définitives s’il ne peut davantage baisser ses dépenses courantes.

L’analyse comparée, sur une longue période, de l’évolution des finances de l’Etat et des collectivités est éclairante. Entre 1983 et 2005, la dette de l’Etat a été multipliée par 9, en passant de 120 à plus de 1000 milliards d’euros et de moins de 20% à plus de 65% du PIB. Pendant le même temps, la dette des collectivités locales, elle, passait de 45 à 103 milliards, soit une multiplication par 2,3 et un pourcentage du PIB diminuant de 8 à 6%. Dans le même temps, les prélèvements obligatoires de l’Etat baissaient de 18% à 15% du PIB, alors que ceux des collectivités locales passaient de 4,5% à 7%.

Ainsi, en 2005, l’endettement de l’Etat représentait-il quatre années de recettes fiscales, celui des collectivités un peu plus d’une année seulement. L’Etat aurait donc cédé à la facilité, en effectuant un arbitrage très net entre fiscalité et emprunt, en baissant ses impôts et en se donnant ainsi une image de « bon gestionnaire », mais sans pour autant être capable de diminuer ses dépenses courantes et en laissant par conséquent filer sa dette rapidement.

C’est là un comportement de « cigale », aggravé par une myopie budgétaire surprenante : ce n’est qu’en 1993 que le gouvernement présente un travail de réflexion pluriannuel sur ses grands équilibres financiers, qui se traduit désormais chaque année par un débat d’orientation budgétaire organisé en début d’été et auquel bien peu d’observateurs et de citoyens s’intéressent.

Les collectivités locales, dans leur ensemble, ont effectué un autre arbitrage et ont suivi une stratégie toute différente : face à une augmentation assez vive des dépenses courantes, elles ont augmenté leur prélèvement fiscal, parvenant ainsi à stabiliser leur dette et à poursuivre une politique active d’investissement financée pour l’essentiel sur ressources propres.

La réticence à l’endettement a été longtemps forte chez les élus locaux, depuis notamment les difficulutés largement médiatisées de quelques villes à la fin des années 80.

Sans doute faut-il voir également, dans ce comportement de « fourmis », les résultats de réflexions stratégiques et prospectives menées dans de plus en plus nombreuses collectivités depuis de longues années, qui leur ont permis de mieux maîtriser l’avenir. Cependant, il est vrai que les règles budgétaires encadrant les collectivités locales sont, de ce point de vue, infiniment plus strictes que celles imposées à l’Etat lui-même : l’endettement local ne peut être contracté que pour le financement d’investissements, alors que l’Etat peut s’endetter pour couvrir ses dépenses courantes, ce qu’il ne s’est pas privé de faire jusqu’alors et qui explique en grande partie ses grandes difficultés à réduire même le rythme d’augmentation de sa dette.

Où donc est la vertu? La gestion publique locale mértite-t-elle à ce point l’oprobre? Nous ne le pensons pas. A l’évidence, l’affaiblissement des finances locales ne restaurera pas à lui seul la bonne santé de celles de l’Etat. Le danger, au contraire, est de conduire à une perte progressive de confiance dans les collectivités locales. Au contaire, la gestion publique locale a progressivement bâti un socle financier solide, sur lequel peuvent s’appuyer les politiques publiques de demain. A une condition, essentielle : que soit enfin conduite la réforme de la fiscalité directe locale. Cette réforme est inélucatble, chacun le sait. La fiscalité directe locale, à laquelle on demande toujours davantage, est aujourd’hui décriée pour son caractère injuste, abscons et économiquement nuisible. Il y a du reste un étrange paradoxe à voir les prélèvements fiscaux locaux augmenter, du fait des transferts de compétence liés à la décentralisation, et s’appuyer sur des impôts largement obsolètes, alors que le prélèvement national diminue régulièrement, qui se fonde pourtant sur les impôts modernes. (Sur très longue période, en effet, le total des prélèvements Etat + collectivités locales est resté à peu près constant en pourcentage du PIB (autour de 22 à 23%), mais la part prise par les collectivités locales a augmenté et celle de l’Etat a diminué, ce qui semble logique.)

C’est pourquoi, à terme, le partage des impôts modernes sur la consommation, le revenu et le patrimoine entre l’Etat et les collectivités semble inéluctable. Plutôt que de dresser d’inutiles et injustes procès, et de courir à la rescousse d’un pouvoir central décrédibilisé sur le plan financier, certains parlementaires pourraient utilement se consacrer à cette réflexion.

Car nos finances locales ont impérativement besoin d’un nouveau souffle pour absorber une demande croissante de services publics et gérer au mieux les nouvelles compétences qui leur sont dévolues. Il ne s’agit pas de dépenser davantage, mais de recouvrer une certaine flexibilité des recettes à même de permettre aux assemblées locales de mener de véritables politiques publiques locales, et pas seulement de gérer des dossiers pour le compte d’un Etat seul gardien de la norme. C’est donc bien d’une vraie philosophie de l’action locale dont il s’agit. Bref, d’une vraie décentralisation.

Philippe LAURENT,Maire de Sceaux, Président de la commission des Finances de l’Association des Maires de France, in l’élu local d’ocotbre-novembre 2005.

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