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Ce que veulent les Russes (1/3)

Morceaux choisis lors de l’entretien avec Sergueï Karaganov (directeur adjoint de l’institut de l’Europe à l’Académie des sciences de Russie, président du conseil de politique extérieure et de défense, doyen de la faculté de politique étrangère et d’économie internationale à la haute école en économie de Moscou) réalisé par Grégory Rayko (adjoint à la rédactrice en chef de politique internationale : ce que veulent les Russes).

« A la question pourquoi les Etats-Unis essaieraient-ils de provoquer une nouvelle guerre froide avec la Russie, Sergueï Karaganov répond pour une raison toute simple, ils sont en train de perdre. C’est déjà ce qui s’est passé après la révolution, l’Ouest avait déclenché contre elle la première guerre froide, qui s’était notamment caractérisé par un boycott économique. De même, après la seconde guerre mondiale il avait fallu à tout prix empêcher le communisme triomphant de continuer de s’étendre, d’où la deuxième guerre froide…

Si la Russie s’est conduite d’une manière particulièrement hautaine à l’égard de l’Ouest, c’est parce qu’elle s’est brusquement retrouvée en position de faiblesse…dans les années 1990. On ne parle presque jamais, à l’ouest, de l’extraordinaire redistribution des ressources qui a eu lieu à cette époque, dont les pays consommateurs venaient se servir sans encombre dans une Russie exsangue. Dans l’histoire de l’humanité, il y a eu peu de pillage d’une telle ampleur. Il faut remonter à la colonisation pour trouver des épisodes comparables. Les élites russes ont conclu ensuite qu’adopter une position polie et constructive n’avaient rien apporté au pays. C’est pourquoi la Russie a fini par dire stop. Elle a comprit qu’il était préférable pour elle de se brouiller avec l’OTAN plutôt que de laisser l’alliance continuer à s’étendre indéfiniment et c’est cette prise de conscience qui a provoqué le durcissement de la position russe. Ce n’était pas de gaieté de cœur, l’intérêt de la Russie se trouve non pas dans le déclenchement d’une nouvelle guerre froide, mais bien dans le développement de relations constructives avec le reste du monde. Quant aux Européens ils ont sans doute réussi quelque chose de remarquable en surmontant la tradition de guerre interne propre au Vieux continent, mais vis-à-vis de l’extérieur, il continue de jouer au jeu de l’équilibre des puissances, même s’ils le font d’une manière plus douce que les Américains.

Le Kremlin s’oppose donc avec virulence aux souhaits de l’Ukraine et de la Géorgie d’intégrer l’alliance. La Géorgie est un problème pour tous ceux qui se mettent en tête de la contrôler et en plus elle ne représente pratiquement aucun intérêt du point de vue stratégique. La question ukrainienne est très différente. L’entrée de cet Etat dans l’OTAN reviendrait à créer entre la Russie et l’Ukraine une frontière qui n’existe pas et qui n’a jamais existé… Jusqu’à présent, et il faut à cet égard rendre hommage aux gouvernements qui se sont succédés à Kiev et à Moscou, les dirigeants des deux pays ont toujours veillé, quel que soit par ailleurs leur différend, à ne pas séparer artificiellement un peuple uni. L’histoire a fait un même peuple qui vit aujourd’hui dans trois Etats (Russie, Ukraine, Belarus). Mais son unité n’en demeure pas moins indiscutable si la Géorgie entre dans l’OTAN, la réaction est prévue depuis longtemps, les Géorgiens perdraient définitivement l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie maintenant que, à la suite des décisions suicidaires du gouvernement de Tbilissi, ces deux régions sont irrémédiablement sortie du giron géorgien, et bien que la Géorgie adhère à l’OTAN si elle en a tellement envie…

Vous parlez des Européens, mais pas des occidentaux dans leur totalité. Estimez-vous que la Russie a des relations particulières avec les Européens et d’autres avec les Américains ? Je crois que le concept « d’Occident » et de moins en moins porteurs de sens. L’Europe et les Etats-Unis n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts. Ainsi toutes deux ne souhaitent pas voir l’émergence de concurrents géopolitiques. Quant à la Russie, elle entretient des relations particulières avec l’Europe, et d’autres relations avec Washington. Nous aimerions que l’Union Européenne soit un acteur géopolitique fort, malheureusement ce n’est pas le cas… Suite au conflit géorgien, les Russes ont été atterrés par la réaction européenne à l’attaque de la Géorgie conter l’Ossétie du Sud, une attaque au cours de laquelle de nombreux civils ossètes ont trouvé la mort, ainsi que bon nombre de soldats russes stationnés sur place au titre du contingent du maintien de la paix. Souvenez-vous : le premier jour, quand l’armée géorgienne pilonnée Tskhinvali, les médias occidentaux (américains et européens ont adopté des positions similaires) ont réagi par un silence assourdissant. Ce n’est que le lendemain, au moment où la Russie est intervenue, qu’ils se sont réveillés…Uniquement pour accabler l’armée russe de leurs critiques. Pour ma part j’ai été sidéré par le sens de la mesure de l’armée russe. J’étais sincèrement persuadé que la Russie allait détruire tous les aéroports géorgiens et toutes les bases militaires se trouvant sur le territoire de ce pays, et qu’elle porterait détruire son potentiel industriel. Après tout, c’est exactement ce qu’avait fait l’OTAN en Serbie en 1999, au prétexte de défendre le Kosovo. »

Hiver 2009, in Politique Internationale.

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