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La famille (4) : une révolution anthropologique

Les transformations de la cellule familiale et les technologies de la procréation bouleversent systèmes de parenté et cultures. Marcel Gauchet (philosophe, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, et rédacteur en chef de la revue « le débat ») dans la revue le débat de fin 2004 affirme que nous vivons une véritable « révolution anthropologique ».

La structuration de la vie par âges (enfance, adolescence, maturité, vieillesse) et les fonctions sociales qui leurs étaient associées se dont estompées au profit d’un individu désocialisé désirant rester jeune à vie. La contraception, l’avortement et les nouvelles techniques de procréation ont fait de l’enfant l’objet autonome d’un désir libéré de la sexualité et de la famille. Notre vision de l’homme et de ses rapports entre nature et culture est à reconsidérer : l’homme est un être de nature, proche de l’animal par son corps, et de culture qui s’humanise par l’ordre de la loi et l’ordre symbolique de l’interdit fondamental de l’inceste. La famille et les systèmes de parenté étaient ainsi conçus comme le lieu où la nature se transforme en culture. Une conception que les métamorphoses de la famille et les nouvelles technologies de la procréation transforment :

  • La question de la filiation d’abord : il semble aller de soi que nous sommes les enfants de nos parents dont nous en sommes biologiquement issus. Cette évidence ne vient pas de la nature mais de l’acte juridique qui fonde la famille et la paix sociale. On suppose que le mari de la mère de l’enfant est son père c’est-à-dire que les enfants sont le fruit de la volonté des deux parents, la même qui s’est exprimée lors du consentement au mariage. Avec la reconnaissance de l’avortement et des nouvelles techniques de procréation, la naissance d’un enfant est ramenée à la vérité biologique qu’il naît du ventre de sa mère. La filiation ne vient plus tant du père que de la mère seule. Dans nos sociétés le choix de l’enfant ne dépend plus d’exigences sociales établies transcendant les couples mais de l’existence d’un « désir d’enfant » ou d’un « projet parental ». Les nouvelles techniques médicales facilitent ce choix de garder ou non l’enfant et le rendent plus explicite. Quelle vision de l’homme exprime ce choix. ? mon corps, mes désirs, mon enfant m’appartiennent. L’enfant n’est plus un sujet collectif et social, c’est un objet privé.
  • Ainsi, notre société dissocie la sexualité (libre), la famille (un vouloir vivre ensemble, également libre des contraintes sociales, dans la durée ou non de deux êtres quel que soit leur sexe), de l’engendrement (un désir d’enfant d’ordre privé) et de la filiation (indexée sur une vérité biologique). Ces différentes fonctions étaient autrefois rassemblées dans l’unité et les secrets de la famille, elles sont aujourd’hui dispersées dans des espaces distincts.
  • La crise de la famille ne tient donc ni à l’augmentation des divorces ni à la revendication de mariages homosexuels mais plutôt à l’éclatement et à la dispersion des fonctions que traditionnellement elle réunissait.
  • La famille échappe au pouvoir que lui conférait le code civil, elle n’est plus la cellule de base de la nation. Pourtant l’Etat ne diminue pas son emprise mais l’organise en ordre dispersé : sur la sexualité d’un côté, sur les mariages de l’autre, sur les bioéthiques d’un troisième.
  • Cette individualisation de la société (issue de la dislocation de la famille) n’est possible qu’à l’ombre de l’Etat providence et de ses nombreux auxiliaires – médecins, assistantes sociales, professeurs, juges… Dans le retrait de la famille prolifère le travailleur social, modèle futur d’un fonctionnaire non plus chargé de l’ordre mais de l’assistance psychologique…

Dans notre monde, tous les systèmes de parenté sont possibles mais nos sociétés se distinguent par l’apparition de familles homosexuelles pouvant adopter et par la coexistence de différentes formes de famille, surveillées et assistées par un Etat providence moribond. Pour combien de temps encore pourra-t-il maintenir l’illusion d’unité des familles en réalité disloquées dans leurs fonctions vitales ?

Voir l’article de François Ewald, « révolution au sein de la famille », in Enjeux, Janvier 2005

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